Quand les agriculteurs gagnent la bataille de l’opinion
La dernière action des militants de l’association à Nantes et la réaction immédiate de l’agriculteur qui a été visé illustrent une fois de plus la puissance de l’émotion et l’importance de la réactivité en situation de communication de crise pour gagner la bataille de l’opinion.
Les récentes mobilisations des militants des Soulèvements de la Terre sur le site de la « méga-bassine » de Sainte-Soline et l’annonce par Gérald Darmanin d’une dissolution programmée en mars 2023 (bien qu’il ne s’agisse pas d’une structure ayant une personnalité morale) ont imposé ces dernières semaines cette association dans la cartographie des organisations militantes issues de l’écologie politique. Forts de ce nouveau statut, les Soulèvements de la Terre ont organisé une manifestation surveillée de près par l’ensemble des médias nationaux et régionaux sur le chantier de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Depuis, le collectif annonce régulièrement sur les réseaux sociaux ses prochaines actions sur le terrain, mettant en difficulté les services de renseignement territoriaux et de police, qui en reconnaissaient « l’ingéniosité », « l’intelligence » et « la communication parfaitement maîtrisée » comme l’ont rapporté certains médias.
Toutefois, la dernière action des Soulèvements de la Terre a suscité une vague de réactions qui pourrait mettre à mal la stratégie de séduction du grand public opérée par l’association. Dimanche 11 juin, le mouvement s’est associé à plusieurs collectifs anti-carrières de Loire-Atlantique pour réunir entre 1200 et 3000 militants écologistes et dénoncer l’utilisation intensive de l’eau et du sable. Au cours de cette action, les militants s’en sont pris à une exploitation de muguet et à des serres expérimentales de la Fédération des maraîchers nantais. C’est à ce moment que les choses ont dérapé puisque l’association a perdu la main de cette séquence de communication qu’elle avait pourtant initiée.
Sans avoir à porter de jugement de valeur sur le fond des arguments des uns et des autres, il est intéressant de noter qu’à une forme de communication radicale avec une action violente, les agriculteurs ont changé de ton en convoquant un discours à dominante émotionnelle. Et ce choix n’est pas anodin car il témoigne d’une recherche de soutien auprès de l’opinion publique. Ainsi, Régis Chevallier, président de la Fédération des maraîchers nantais et exploitant du site dévasté, a tout de suite réagi sur Twitter en posant comme victime des militants. « Aujourd’hui je pleure. Les zadistes ont détruit nos serres expérimentales en sol vivant et cultures sans pesticides. En toute impunité… », partage-t-il ainsi Twitter, photos à l’appui.
En communiquant rapidement à l’issue de l’action des Soulèvements de la Terre, Régis Chevallier a mis en pratique l’une des règles de base de la communication de crise, à savoir la réactivité dans l’heure suivant l’événement. Le principal avantage de cette stratégie est qu’elle permet de ne pas attendre que les autres communiquent à votre place sur une situation qui vous concerne directement. Adossé à cette extrême réactivité, Régis Chevallier a également appliqué l’une des clés de toute communication de crise réussie suivant la première phase d’alerte : diffuser un message avec une forte tonalité émotionnelle lors de la phase d’entrée en crise. Or, le premier tweet de l’agriculteur commence par une phrase simple : « Aujourd’hui je pleure ». Ce message est complété par deux éléments concomitants démontrant une parfaite maîtrise de la vitesse de diffusion de l’information sur les réseaux sociaux : « Les zadistes ont détruit nos serres expérimentales en sol vivant et cultures sans pesticides. » Enfin, ce tweet se termine par une nouvelle affirmation mêlant émotion et indignation : « En toute impunité… ». En effet, il souligne le paradoxe d’une action de défense de l’environnement s’en prenant à des terrains où des chercheurs mènent des essais pour des cultures répondant aux enjeux environnementaux.
Par ce simple message court et fort, accompagné de photos, l’agriculteur a renversé la charge de l’accusation portée par les militants. Par la même occasion, il fait peser un risque de perte de soutien de la part du grand public pour ces mêmes militants qui entendent défendre l’intérêt général. Ainsi, cette action a suscité de nombreuses réactions politiques, à droite comme à gauche et au sein du Gouvernement, y compris par des figures engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique et alliés naturels des Soulèvements de la Terre. « Ces destructions me plongent dans une complète incompréhension », a notamment tweeté la climatologue Valérie Masson-Delmotte, figure française du Giec, qui avait pourtant dénoncé les menaces de dissolution pesant sur le collectif.
A la suite de ce retournement de situation, les Soulèvements de la Terre ont publié un communiqué sous forme d’un long thread sur Twitter mettant en avant des arguments rationnels mais exempts de toute forme d’émotion, ne parvenant pas à contrer la charge émotionnelle du premier tweet de Régis Chevallier. Cette communication est ainsi passée à côté de sa cible à l’échelle du grand public et la majorité des articles traitant de cet événement sont relativement négatifs pour l’association. Cet épisode marque un tournant majeur dans les stratégies de communication des agriculteurs et des associations écologistes. Après des décennies d’une communication réactive avec un temps de retard, scientifique et donc inaudible, revancharde voire violente et donc illégitime, traditionnellement relayée par organisations syndicales comme la FNSEA, les agriculteurs osent enfin prendre la parole sur le terrain de l’émotion, habituellement investi par les organisations militantes. L’évolution de la tonalité de la communication des uns face à la radicalisation de l’action des autres pourrait ainsi faire bouger les lignes d’un schéma de communication binaire mettant en scène les « gentils militants » et les « méchants agriculteurs ».
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Par Vincent Prévost, directeur d’Opinion Valley