Les communicants ont une responsabilité dans l’affaire FTX
La récente chute de FTX montre une fois de plus le poids des professionnels de la communication dans la construction des success story (parfois fallacieuses) de leaders de la tech, mais aussi leur chance de se racheter lors de la chute du château de cartes, avec une stratégie de communication de crise qui doit permettre de tourner la page.
The Dropout sur Theranos, WeCrashed sur WeWork ou encore King Of Stonks sur Wirecard : les dernières productions à succès des plateformes de streaming comme Netflix ou Disney+ raffolent de ces histoires mettant en scène des personnages charismatiques au train de vie tout aussi dispendieux que leur chute sont vertigineuses. Comme la conclusion ironique d’un cycle de communication qui passe par la révélation, le storytelling, le personal branding des dirigeants, la communication corporate et la communication de crise.
Lors de l’effondrement de ces châteaux de cartes basés sur des arnaques plus ou moins élaborées, allant du système de Ponzi au placement de produit sur les réseaux sociaux, en passant par la falsification pure et simple, le point commun a été l’aveuglement généralisé de décideurs et d’investisseurs reconnus qui se retrouvent pris au piège dans des réinterprétations contemporaines du mythe de l’Eldorado.
Aujourd’hui, c’est l’épilogue d’un duel idéalisé entre les deux leaders du secteur, FTX et Binance, qui a abouti à l’effondrement de la seconde plateforme mondiale de cryptomonnaies il y a quelques jours. Selon de nombreux analystes, des centaines de millions de dollars d’actifs ont été retirés de la plateforme en quelques heures. Avec cette crise, Sam Bankman-Fried, le PDG de FTX, considéré comme l’un des hommes les plus influents des cryptoactifs et décrit par Bloomberg comme «la version crypto de John Pierpont Morgan», est instantanément tombé en disgrâce, perdant en une journée 94% de sa fortune évaluée à 15,6 milliards de dollars.
Construction de mythes modernes
Le rôle des communicants et des stratèges en storytelling est essentiel dans la construction de ces mythes modernes et doit impérativement être remis en question par les professionnels de la communication. L’aphorisme «fake it till you make it» étant la première règle de la Silicon Valley, ce principe a été progressivement dévoyé par des communicants en manque d’inspiration, qui y ont vu une opportunité de valoriser des promesses surévaluées, voire des mensonges éhontés, faisant fi de tout principe déontologique.
A l’image de nombreux entrepreneurs de la tech dont certains ont été à l’origine de scandales précédemment cités, Sam Bankman-Fried (SBF) avait savamment construit son image de patron iconoclaste, se décrivant volontiers comme un bourreau de travail au mode de vie ascétique et à l’ambition de faire le bien autour de lui, cultivant par la même occasion une rivalité romancée et inspirée de Star Wars avec son alter ego Changpeng Zhao, le PDG de son principal concurrent Binance. Or, au climax de la crise, SBF a dû démentir une fuite en jet privé vers Buenos Aires, quand d’autres observateurs de l’écosystème crypto l’accusaient de chercher à se réfugier à Dubaï en compagnie d’autres dirigeants de FTX. Il est actuellement sous surveillance policière dans l’une de ses propriétés aux Bahamas.
Dans les faits, SBF est soupçonné d’avoir prêté 10 milliards de dollars d’actifs à sa firme d’investissements Alameda Research, dirigée par l’une de ses amies proches, en provenance de fonds appartenant aux clients de la plateforme FTX, suivant un système de Ponzi relativement classique à l’image des affaires OneCoin et Terra Luna. Mais la chute de FTX marque un tournant sans précédent dans le secteur car la plateforme était encore considérée il y a encore deux semaines comme la deuxième plus grande plateforme de cryptomonnaies au monde, évaluée à 32 milliards de dollars.
Risque de contagion sectoriel
Pour un secteur encore très récent, la défaillance de ce géant est un facteur de risque de contagion sectoriel, complexifiant d’autant plus la donne pour les acteurs restants. Ainsi, la chute de FTX a sonné comme un rappel à l’ordre avec un retour à la dure réalité, notamment celle de la communication de crise, méthodologique, précise et factuelle. Dans une opération déclenchée en catastrophe, John Ray, le nouveau PDG et responsable de la restructuration du groupe, a assuré le 12 novembre que l’entreprise mettait «tout en œuvre pour sécuriser tous les actifs, où qu’ils se trouvent». Il a ajouté de manière sibylline que FTX enquêtait sur des «transactions non autorisées». Or, la crainte d’une contagion est réelle dans le monde des cryptoactifs.
Panique à bord, Changpeng Zhao a même annoncé cette semaine qu’un fonds d’urgence commun serait créé afin de protéger les entreprises de l’écosystème en cas de crise de liquidité. De plus, la plateforme Crypto.com a reconnu à la suite de la chute de FTX qu’elle avait envoyé 400 millions de dollars d’Ethereum à une mauvaise adresse. Quelque peu gênant, on met en avant la sécurité de la blockchain pour les échanges d’actifs sur sa plateforme. Son PDG, Kris Marszalek, a dû jouer le jeu de la clarté dans un live sur YouTube, afin de rassurer les investisseurs face aux rumeurs évoquant une crise de liquidité liée à FTX, annonçant qu’un audit des réserves était en cours pour assurer la transparence et la bonne santé de sa plateforme.
À l’image de ce que nous avons vécu en 2008 avec la crise des subprimes, l’enchaînement de plus en plus rapide d’événements d’ampleur impliquant la disparition d’importantes sommes d’argent et la probité d’entrepreneurs élevés jusqu’alors en héros de la réussite professionnelle, fait craindre le pire pour le secteur et pourrait donner un coup d’arrêt à son développement incontrôlé, avant même l’application des premières réglementations spécifiques comme le règlement européen MiCA, devant entrer en vigueur à partir de janvier 2024. Les jeunes PDG de la finance virtuelle n’ont d’autre choix que de confronter leur vision à celle des experts dans la gestion de crise pour sauver ce qui peut encore l’être.
L’étape que nous traversons actuellement constitue un signal majeur pour déclencher des opérations de gestion de crise d’ampleur pour l’ensemble des acteurs. En effet, les plateformes doivent désormais se préparer à un possible effondrement du secteur, avec une mise à jour du plan de continuité d’activité en cas de faillite et du fonctionnement de la cellule de crise… En communication de crise, la veille doit être renforcée, les messages déjà prêts, de même que le rôle des chargés de communication et des porte-parole… Toutes les étapes de la prévention, de la gestion de crise et de la reconstruction doivent être lancées dès aujourd’hui si les promoteurs de la phase d’euphorie des cryptoactifs du début de la décennie 2020 veulent éviter une disparition aussi rapide qu’a été leur ascension.
Par Vincent Prévost, directeur d’Opinion Valley