Comme un oiseau sans ailes
Ou l’impossible sortie de crise de Boeing
Quelques jours après l’incident à bord d’un Boeing 737 MAX d’Alaska Airlines, dont une partie de la carlingue a été arrachée, les conséquences de cette catastrophe aérienne évitée de peu ouvre la porte à une catastrophe économique d’une autre ampleur pour l’avionneur américain.
C’est un début d’année chaotique pour le principal concurrent d’Airbus. Le 5 janvier dernier, un Boeing 737 MAX de la compagnie Alaska Airlines a perdu tout un morceau de son fuselage en plein vol, quelques minutes après son décollage de l’aéroport de Portland aux États-Unis. A la suite de cet incident qui aurait pu être beaucoup plus grave (aucune victime n’est à déplorer), le PDG de l’entreprise a fait des excuses face à ses employés en indiquant : « Nous allons aborder cela d’abord en reconnaissant notre erreur ». Mais à l’inverse d’une prise de parole symbolisant un possible début de sortie de crise, cet épisode rouvre les plaies béantes du passé et met en scène l’une des difficultés stratégiques les plus sensibles en com de crise : la confiance.
En situation de crise, la confiance d’une entreprise est le principal actif qui est attaqué. Or, la phase de sortie de crise nécessite une reconstruction de cette confiance pour regagner des parts de marché, comme l’ont fait Volkswagen après le Dieselgate, ou Samsung après le Galaxy Note 7. Ces séquences de sortie de crise ont duré des années et ont eu des conséquences financières considérables pour les entreprises mises en cause. L’exemple de la crise du benzène chez Perrier en 1990 a eu un coût considérable, au-delà du milliard qu’a coûté du rappel produit, puisque le chiffre d’affaires de Perrier n’a retrouvé son niveau de 1989 qu’en 2013, qui a été racheté par Nestlé entretemps. Dans le cas de Boeing, les récents déboires des 737 MAX, font rejaillir le spectre des catastrophes de 2018 et 2019 sur le même type d’appareil et mettent en péril la stabilité à long terme de l’entreprise.
Pour rappel, les crashs des vols Lion Air 610 le 29 octobre 2018 et Ethiopian Airlines 302 le 10 mars 2019 avaient impliqué des appareils Boeing 737 Max et étaient survenus peu après le décollage, à moins de cinq mois d’écart, causant la mort de 346 personnes. Ces drames avaient conduit l’avionneur à stopper la production de son nouvel appareil et de nombreux pays et compagnies aériennes à suspendre les des 737 Max entre mars 2019 et novembre 2020, ouvrant la voie à plusieurs actions en justice de la part de syndicats de pilotes et de compagnies aériennes.
Cette situation eu de nombreuses et lourdes conséquences pour l’entreprise mais aussi pour l’économie américaine avec la démission fin 2019 du PDG de Boeing, Dennis Muilenburg, remplacé par David Calhoun, actuellement dans la tourmente. Le coût estimé de la suspension de ces vols pour Boeing est serait de près de 9,2 milliards de dollars, ce qui entraine la première perte annuelle pour l’avionneur depuis 1997. Par ailleurs et selon une étude du cabinet Oxford Economics en janvier 2020, l’impact sur le PIB des États-Unis serait de 0,5 % en chiffres annualisés.
Or, dans le cas de l’incident du 5 janvier, tout le travail effectué depuis plus de 3 ans pour résoudre le problème et regagner la confiance des compagnies et des autorités aériennes est réduit à néant. En effet, les problèmes ne font que commencer puisque la Federal Aviation Administration décide a lancé une enquête sur d’éventuels manquements aux procédures d’inspections et de tests par le groupe Boeing. De plus, six passagers du vol d’Alaska Airlines ont demandé à Boeing de dédommager les 171 passagers à bord.
C’est désormais la culture d’entreprise de Boeing qui est remise en question avec une interrogation concernant la priorisation de la logique financière sur les préoccupations techniques des ingénieurs. Cette culture d’entreprise a eu lieu au début des années 2000 avec un changement de politique, le slogan de l’entreprise passant de « travailler ensemble » à « davantage pour moins cher » d’après le journaliste Peter Robison dans son ouvrage Flying Blind. Ce changement de culture avait participé à la naissance d’une importante grève des ingénieurs de Boeing à Seattle, causant un traumatisme en interne et une rupture entre la direction et les usines, ce qui avait ainsi déclenché le déménagement de la direction de l’entreprise vers Chicago à plus de 3000 km des usines de Seattle (elle est désormais basée à Arlington, près de Washington DC). Ainsi, cette nouvelle crise de janvier 2024 souffle sur les braises de 2018 et aura de lourdes conséquences commerciales dans un marché duopolistique, à la faveur de son principal concurrent Airbus.
Lors du développement d’un produit, a fortiori quand il est destiné à un usage de la part du grand public, le risk assessment doit impérativement être mené avec l’ensemble des parties prenantes internes et notamment les ingénieurs qualité qui sont et restent les experts du risques (à l’inverse de financiers). L’équilibre entre les différentes composantes de la direction constitue l’une des fondations de toute démarche d’anticipation de la crise. Enfin, la communication de crise ne peut pas se substituer au plan d’action de résolution de la situation, précisément parce qu’elle repose sur ce plan d’action. La communication de crise c’est avant tout une communication de l’action, sinon, ce n’est que du vent.
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Par Vincent Prevost, directeur d’Opinion Valley